Environnement et économie : « la décroissance est un leurre et une vaste tromperie ! »

3 questions à Pascal Perri, économiste et chroniqueur, auteur du Péril Vert

Les écologistes français prônent la décroissance comme solution aux questions environnementales.  Que recouvre ce terme ?

Le concept de décroissance trouve ses origines dans le « Rapport Meadows », adressé en 1972 au Club de Rome par Donnella et Dennis Meadows. Il repose sur une idée finalement assez simple : il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini. Pour le dire autrement, « l’industrialisation et la croissance ont pillé les ressources de la planète ». Pour préserver notre environnement, il n’y aurait donc qu’une solution : arrêter la machine sans tarder.

Dans une société d’hyperconsommation, l’idée d’un retour à une certaine sobriété peut parfois séduire. On peut le comprendre à titre personnel. Mais ce concept est pour le moins déplacé pour une population pauvre ! Sur un plan macroéconomique, il ne faut pas s’y tromper : le modèle décroissant est d’une radicalité qui se doit d’être détaillée. Il ne propose pas une récession, c’est-à-dire un accident ponctuel de la croissance. La décroissance est un mouvement volontaire de réduction drastique et pérenne de la production, fondé sur une profonde méfiance envers la technologie, le progrès, l’économie de marché et la raison humaine.

En ce sens, la décroissance est une proposition politique profondément misanthrope, qui rompt radicalement avec l’humanisme. Pour les décroissants, l’action humaine est fondamentalement destructrice et le progrès des techniques, quel qu’il soit, ne peut conduire qu’à un monde encore plus consumériste, et à ce titre, encore plus dangereux. Ce que proposent les écologistes décroissants, c’est purement et simplement le repli, face à la peur inspirée par les abus du productivisme. Repli de la croissance, mais aussi repli de l’homme qui doit s’effacer devant l’intérêt supérieur de l’environnement et accepter de n’être qu’un vivant parmi tous les autres, toutes catégories confondues.

Un modèle de société décroissant serait-il compatible avec une démocratie ?

D’après André Gorz, l’un des premiers à penser la société de décroissance, un tel modèle implique idéalement une forme de « simplicité volontaire » ou pour le dire autrement d’auto-contrainte militante. Le problème, d’après les écologistes français, c’est que la majorité d’entre nous est incapable d’avoir peur alors même que les périls environnementaux sont si évidents.

Et c’est justement pourquoi le recours à la contrainte, à la limitation des libertés, à l’interdiction, bref à une forme de « dictature bienveillante », pour reprendre les termes d’Hans Jonas, philosophe fétiche des écologistes, est indispensable. La décroissance est indissociable d’un certain totalitarisme, où une minorité éclairée impose ses diktats à tous. Elle s’accompagne d’un projet politique de localisme économique, politique et énergétique dont la condition première est un rationnement drastique à tous les niveaux. Ce modèle nous ramènerait à une France médiévale, sans égalité de traitement des Français pour l’accès aux ressources essentielles.

Enfin la décroissance entraînerait l’effondrement de notre système social, ce qui engendrerait de facto une misère tant sociale qu’économique, surtout pour les plus pauvres. Alors même que les richesses d’un pays sont indexées sur sa production, comment espérer continuer à financer un modèle social à la française dans un modèle décroissant : 340 milliards par an au titre des retraites, 200 milliards de dépenses de santé, la politique familiale et les dizaines de milliards de la politique d’assistance sociale massive. Le monde de la décroissance est exigeant et imposerait des révisions déchirantes. Il n’est techniquement pas impossible, mais il serait socialement et éthiquement cauchemardesque

La décroissance permettrait-elle de résoudre les questions environnementales ?

Nous avons en l’épisode du confinement du printemps 2020, une épreuve grandeur nature de ce à quoi pourrait ressembler une société décroissante. Cette période a vu la mise à l’arrêt de l’économie du monde et des productions industrielles en Asie. Résultat ? Une symétrie parfaite entre l’effondrement de la croissance, environ 10 % à l’échelon mondial, et la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Pour être spectaculaire, ce résultat reste pourtant notoirement insuffisant. « 10 % de réduction des émissions sur un an, c’est seulement une demi-PPM1 de rejets en moins : une réduction “epsilonesque” des émissions cumulées face à une restriction énorme de libertés et un accroissement démesuré de la pauvreté. Un calcul simple montre que pour satisfaire les objectifs de Paris via la seule décroissance économique (450 ppm en 2050), il faudrait pratiquement imposer à la planète un confinement permanent… durant les trente prochaines années », note ainsi Guillaume Bazot dans son livre Les coûts de la transition écologique.

En cela, la décroissance est un leurre et une vaste tromperie : elle cumulerait l’absence de solution satisfaisante sur le plan énergétique et les horreurs d’une crise sociale majeure et sans doute mortifère. La décroissance repose davantage sur des biais idéologiques anti-progrès et anticapitalistes, que sur une véritable recherche de solutions écologiques.

Les écologistes français, plus radicaux que la plupart de leurs homologues européens, entendent imposer par la contrainte une cure de décroissance à notre pays. Mais quelles seraient les conséquences d’une expérience isolée de décroissance économique dans un pays comme le nôtre, au beau milieu d’un monde qui continue de croître, sachant que nous n’avons aucun moyen légal d’imposer cette même cure aux peuples étrangers ? Nous subirions un double choc, économique et social. Cette voie est une impasse. Compte tenu de la géographie du monde, de son organisation politique, nous n’avons d’autre choix que de poursuivre la marche du progrès, qui seule garantira la sauvegarde des acquis sociaux de nos pays et une croissance respectueuse de son environnement.

Le Péril Vert, Pascal Perri, éditions de l’Archipel, disponible dans toutes les librairies et sur Internet

 

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