Le bio importé pas si bio…

LES Faits

Lors du dernier Salon de l’agriculture, les producteurs de bananes des Antilles souhaitaient interpeller les consommateurs et leaders d’opinion autour d’une thématique forte : « La Banane Française, mieux que BIO, c’est possible ! » Cette initiative portée par l’UGPBAN (Union des Groupements de Producteurs de Bananes de Guadeloupe et Martinique) n’était pas du goût de tout le monde.

 

Immédiatement le Synabio qui regroupe les industriels du secteur bio, et notamment les importateurs, s’est empressé d’engager une démarche en référé pour faire interdire cette communication. Le tribunal a répondu favorablement à sa demande sans se prononcer sur le fond du dossier. Il faut préciser que c’est l’Agence du Bio (établissement public) qui a assuré la communication de Synabio.

Décryptage

Les producteurs de bananes souhaitaient interpeller décideurs et consommateurs sur deux points :

    • Le marché européen de la banane Bio se développe avec une offre de plus en plus importante en provenance d’Amérique centrale (Costa Rica, Equateur, République Dominicaine,). Cette production bio est réalisée selon un cahier des charges qui n’est pas comparable à celui en vigueur dans l’union européenne. C’est ce dernier, nettement plus contraignant, qui s’applique dans les Antilles. Or, lors de l’entrée dans l’UE, il est accordé à ces productions d’Amérique centrale contrôlées par les géants de la banane (Dole) une équivalence de certification bio. Les producteurs des Antilles dénoncent donc des distorsions techniques entre cahiers des charges qui créent un avantage compétitif pour les bananes d’Amérique centrale.
    • Les producteurs de bananes aux Antilles sont rentrés ces dernières années dans un cercle vertueux, en particulier sur l’utilisation des produits phytosanitaires (Plan Banane Durable) dont l’utilisation est soumise aux contraintes fiscales et sociales françaises. Conséquence : le rapport du coût de la main d’œuvre entre l’ile de la Dominique et les Antilles est de 1 à 5.

L’effet conjugué du coût de la main d’œuvre plus faible et d’un cahier de charges « light » conduit inévitablement à l’impossibilité de développer une filière de production de banane Bio aux Antilles.

La filière antillaise essaye à la fois de se démarquer d’une concurrence accrue sur le marché européen (en lien avec la baisse progressive des droits de douane) et de revaloriser le produit. Ainsi depuis mai 2015, des bouquets de 3, 4 ou 5 fruits enrubannés de tricolore et facturés en fonction du nombre de fruits sont commercialisés.

Le vrai débat

Par leur action en justice en référé destinée à faire interdire la campagne d’affichage des producteurs de banane de la Guadeloupe et de la Martinique, le syndicat des importateurs de produits bio ne souhaitent pas que le consommateur soit informé des enjeux de production…. et d’importation. C’est ce que rappelle l’UGPAN dans son communiqué :

« Le consommateur européen ne peut être que trompé. Rien ne lui permet de savoir que le label bio des pays tiers est moins exigeant, et qu’en particulier les bananes bio de République dominicaine qui couvrent 80% du marché peuvent être traitées par 14 substances interdites en agriculture conventionnelle dans l’Union européenne ».

Dans le cadre des discussions en cours du règlement bio de l’Union Européenne, le principe d’équivalence des labels doit être remis sur la table. Dans les faits, cette équivalence est souvent automatique et pas trop regardante des exigences techniques ainsi que des processus de certification de la production.

Les producteurs des Antilles ont donc raison de poser publiquement cette question. Cette situation peut entraîner demain de grosses difficultés dans d’autres productions alimentaires végétales ou animales certifiées AB. L’inquiétude des producteurs est donc bien légitime. L’attitude des importateurs est quant à elle nettement plus contestable.

Parlons clair

Qui est à la manœuvre ? Ce sont les importateurs de produits bio. Ce ne sont pas les producteurs d’Amérique centrale. Ce ne sont pas non plus les consommateurs. En agissant ainsi, les importateurs adhérents de Synabio vont contre les intérêts des producteurs bio français. Soyons clair, il y a aujourd’hui un conflit autour de l’approvisionnement du marché du bio dans l’hexagone, et en Europe. Les intérêts divergent entre les producteurs français et les importateurs qui cherchent des produits avec une étiquette bio à bas coûts pour satisfaire les demandes de la GMS (Grandes et Moyennes Surfaces).

Ces divergences créent un décalage majeur entre la production bio et la réalité des produits compte tenu des cahiers de charges à géométrie variable. Ce décalage est amplifié par l’image d’Epinal du bio : qualité, absence de traitement et proximité.

Le bio en France communique largement sur l’absence d’utilisation de produit phytosanitaire, ce qui est contestable. Le catalogue des produits phytosanitaires (c’est-à-dire les pesticides) autorisés en production bio comporte plus de 2479 produits (selon le Guide des intrants 2016) édité par l’institut technique de l’agriculture biologique).

Dans le bio, on parle beaucoup d’éthique, mais il faut aussi oser parler d’économie. Le même débat que celui de la banane risque de se déclencher très prochainement entre les producteurs de pommes de terre nouvelles de Noirmoutier (bien connue pour sa qualité gustative comme pour son mode de production responsable) et des productions labellisées bio en provenance d’Egypte.

 

Aller plus loin :

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