Les régimes de retraites sont-ils irréformables ?

Les faits

Jean Paul Delevoye, le Haut-commissaire à la réforme des retraites, a demandé un « délai » pour clôturer ses rencontres avec les syndicats. Le projet ne sera pas discuté avant les élections européennes. Il est hautement inflammable ! La réforme des retraites, la plus importante réforme sociale de ces 20 dernières années avance à petits pas. Et pour cause ! La retraite est ressentie comme un acquis social essentiel. C’est aussi le principal centre de coût des dépenses sociales du pays avec une enveloppe de 308 milliards d’euros par an.

Décryptage

Posons les fondamentaux pour comprendre ce qui est en cause. On estime en général que la retraite répond à deux modèles sociaux différents et parfois combinables.

  1. Le régime Bismarckien, déployé en Allemagne à la fin du 19e siècle, est un modèle paritaire de caractère assuranciel. On se protège en cotisant.
  2. Le régime de Beveridge, du nom d’un économiste anglais du début du 20e siècle, est fondé sur l’impôt et donc sur l’assistance. Pour donner un élément de compréhension, la CSG (Contribution sociale généralisée) est une forme de fiscalisation de la protection sociale. On paye par l’impôt la protection sociale. C’est l’esprit de Beveridge. L’Etat est « providentiel ».

 

La France est le pays le plus généreux d’Europe. Elle consacre 14% de son PIB au paiement des pensions de retraite. Le taux de réversion y est le plus élevé des pays de l’OCDE, très nettement supérieur à celui pratiqué en Allemagne. Mais ce qui frappe le plus dans notre cas, c’est la pluralité et la diversité des régimes. Pas moins de 42 régimes dits spéciaux ont été pendant longtemps des régimes anticipés, en ce sens qu’ils ont précédé la loi sur les retraites. Ces régimes anticipés ont produit des droits pour les fonctionnaires de l’Etat (civils et militaires) pour les cheminots (avant même la nationalisation des chemins de fer), pour les sociétaires de la Comédie Française ou de l’Opéra de Paris. Ces régimes spéciaux sont pour la plupart très déséquilibrés et, comme chacun le sait, ce qui est offert aux uns est payé par tous les autres.

La vérité sur les régimes spéciaux

i- Quand Pierre Laroque accompagne la fondation de la Sécurité sociale en 1945 sous l’impulsion du gouvernement provisoire de la France, seuls les agents de l’Etat et les salariés des secteurs protégés (ou stratégiques) bénéficient d’une assurance retraite digne de ce nom. La grande promesse est celle de l’égalité républicaine. La retraite est un acquis pour tous et elle doit présenter un caractère universel. Les Français ont longtemps cru à cette belle fable du traitement égalitaire des assurés mais on leur a menti. Les premières retraites du privé présentent un taux de réversion indigent (autour de 30% du dernier salaire). La promesse égalitaire ne sera jamais tenue et il faudra l’invention des régimes complémentaires de cadres et de non cadres AGIRC ARCCO pour soutenir les revenus de remplacement des non fonctionnaires.

ii- Chaque année, le régime spécial des retraites de la SNCF, cette vache sacrée de la République, coûte 3,5 milliards d’euros à la collectivité. Il est structurellement déficitaire. C’est la solidarité nationale qui bouche des trous. Mais ce n’est pas le seul fromage de la République. Les Français l’ignorent mais à chaque consultation chez un médecin de ville, ils abondent la caisse de retraite des médecins libéraux.

iii- La question posée est celle de la soutenabilité de nos régimes de retraite. Pour comprendre, voici deux tableaux qui rappellent que la retraite est la fille conjointe de la croissance économique et de la démographie. En 1950, un retraité vivait 5 années après son départ en retraite. En 2018, l’espérance de vie à la retraite est de 28 ans !

1950 5 ans
2018 28 ans

Dans le même temps, le nombre de cotisants a très sensiblement baissé. Dans un système de solidarité intergénérationnelle, le nombre de cotisants doit être suffisant pour couvrir les retraites en cours.

1940 2016 2050
4 cotisants 1,8 cotisant 1,2 cotisant

Nombre de cotisants par retraité

La réforme Macron introduit enfin le concept de retraite par point. On ne prend plus en compte les 6 derniers mois travaillés dans le public ou les 25 meilleures années comme dans le privé pour calculer les droits mais le nombre de mois travaillés tout au long de sa vie. Chaque journée travaillée alimente un compteur par point ; chacun se retrouve en face de son parcours professionnel. Un peu de justice ne peut pas nuire au pays de l’égalité !

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