Peut-on vraiment sortir des pesticides ?

Les faits

Le 15 avril dernier, le site internet du quotidien Libération publiait une tribune rédigée par un collectif de chercheurs, cancérologues, médecins, et toxicologues, du CNRS, de l’Inserm, de l’Université, et de l’Inra, alertant l’opinion et les autorités sur la dangerosité d’une famille de fongicides, les SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase). « Il nous paraît urgent d’attirer l’attention sur les risques potentiels pour la santé humaine et l’environnement de l’usage d’une classe de pesticides, les SDHI. » Alarmistes, ces scientifiques en appellent à suspendre l’utilisation des SDHI « tant qu’une véritable estimation des dangers et des risques n’aura pas été réalisée par des organismes publics indépendants ».

Ce discours n’a rien d’étonnant car depuis les affaires du glyphosate et des néonicotinoïdes, les récriminations contre les produits phytosanitaires sont quotidiennes, sur fond d’imbroglio et de cacophonie entre les autorités sanitaires, le gouvernement, la communauté scientifique et les ONG. Le gouvernement français a pour sa part ouvertement pris position pour une sortie progressive mais radicale de « l’ensemble des pesticides », comme l’a déclaré Nicolas Hulot à plusieurs reprises à l’automne 2017(1). Le projet de plan d’action pour réduire la dépendance de l’agriculture aux produits phytosanitaires est en phase de consultation depuis mi-janvier 2018 et devrait être finalisé prochainement.

Décryptage
On observe un glissement dans la sémantique du gouvernement, qui passe d’éliminer les substances « les plus dangereuses » à la sortie des pesticides tout court. Même envisagée à long terme, cette position n’est pas réaliste car l’agriculture ne peut se passer durablement des produits de protection des cultures. Un tel discours correspond à une approche technocratique et politique du retrait des substances phytosanitaires, qui ne tient pas compte des enjeux techniques de protection des cultures et de production. Sur ce point, les autorités n’accordent pas l’importance nécessaire à l’expertise des agences officielles d’évaluation française (ANSES) et européennes (EFSA, ECHA).

Croire que l’on pourrait cesser d’utiliser tout pesticide est un leurre et repose sur plusieurs croyances erronées, à commencer par celles qui concernent les molécules naturelles. Celles-ci ne présentent pas moins de risques que les molécules de synthèse. L’utilisation de certaines substances en agriculture biologique telles que la bardane, l’huile essentielle d’origan, l’huile essentielle de Sarriette, ou la tanaisie a ainsi été rejetée par les autorités sanitaires européennes au motif qu’elles seraient des perturbateurs endocriniens. En bio, l’utilisation de pesticides de synthèse est remplacée par le recours au cuivre et au soufre, bien connus pour appauvrir des sols et produire des problèmes écotoxicologiques. Le naturel et le bio ne sont pas toujours sans danger !

Plus grave, en réduisant le nombre de molécules autorisées pour le traitement des fruits et légumes, on réduit la boîte à outils de l’agriculteur et on augmente le risque de créer des résistances à certains traitements. L’exemple de la mouche Drosophila Suzukii dans les vergers de cerises est caractéristique de cette situation. Les solutions alternatives au diméthoate, insecticide interdit en France, sont moins efficaces, mais surtout nécessitent plus de traitements. Autre exemple : la suppression de la substance « linuron » prévue pour juin 2018 va réduire la palette d’outils disponibles pour le désherbage des carottes, céleris-raves, céleris branches, poireaux, pommes de terre et du persil. En conséquence, le recours au désherbage par traitement chimique avec d’autres substances risque paradoxalement d’augmenter !

L’acharnement sur les pesticides sans discernement plonge les agriculteurs dans l’impasse et menace l’équilibre de la production des cultures. Que reste-il aux producteurs de choux, qui font face à 27 risques de maladies et de ravageurs ? Sécuriser la production et maintenir la rentabilité des cultures devrait être l’une des priorités pour ne pas déstabiliser les filières agricoles avec des suppressions radicales de produits phytosanitaires sans solutions alternatives efficaces.

Cette position intransigeante du gouvernement français est d’autant plus étonnante que les agriculteurs se mobilisent sur la question des produits phytosanitaires, en particulier en développant des solutions alternatives de « biocontrôle ». Pour ne citer qu’un exemple, dans la production de pommes, l’utilisation de la confusion sexuelle contre un insecte, le carpocapse, s’est largement développée, notamment depuis l’adoption de la charte verger écoresponsable. Le biocontrôle figure en bonne place dans le contrat de solutions porté par la FNSEA (premier syndicat d’exploitants) et plus d’une trentaine d’organisations et de filières. Ce contrat de solution entend réduire le recours aux produits phytosanitaires. Il doit être signé dans les prochaines semaines par Nicolas Hulot (ministre de l’Écologie), Stéphane Travert (ministre de l’Agriculture), Agnès Buzyn (ministre de la Santé) et Frédérique Vidal (ministre de l’Enseignement supérieur).

Le vrai débat
Passer d’une approche en termes de substances chimiques à une approche qui évalue les risques serait déjà un grand pas en avant. 97,2 % des échantillons alimentaires évalués par l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) présentent des concentrations de résidus de pesticides inférieures aux limites légales autorisées par l’Union européenne (LMR), dont 55,3 % étaient exempts de résidus quantifiables (2). Rappelons également qu’une contamination des aliments par des pesticides ne signifie pas nécessairement qu’ils présentent des risques pour le consommateur. En effet, les limites maximales de résidus (LMR) sont établies de telle sorte que les quantités de résidus qu’un individu est susceptible de retrouver quotidiennement dans son alimentation ne sont en aucun cas toxiques, à court et à long terme.

Au-delà des pesticides, nous ne pouvons pas négliger la question des risques bactériens et des mycotoxines, contaminants naturels de nombreuses denrées d’origine végétale. Céréales fruits, noix, amandes, pommes et les produits manufacturés issus de ces filières agricoles et destinés à l’alimentation humaine sont concernés.
Nous devrions donc plutôt nous interroger sur la qualité de notre alimentation en France. Notre alimentation est-elle saine et équilibrée ? Consommons-nous suffisamment de fruits et légumes frais ? Ce sont là les véritables enjeux d’une agriculture française durable et le moteur de notre santé.

Parlons clair
La guerre aux pesticides a le mérite de soulever des réflexions sur notre modèle agricole et sur le fonctionnement de notre production, ayant des conséquences directes sur notre consommation quotidienne. Quelle agriculture souhaitons-nous ? Une agriculture française haut de gamme, souvent plus chère, ou une agriculture de moindre qualité, à base de produits importés de pays qui – eux – utilisent des produits phytosanitaires ? Ce choix n’est ni satisfaisant ni optimal pour le consommateur.

La balance commerciale française est déficitaire en fruits et légumes frais de l’ordre de 4 milliards d’euros en 2017 (2,86 milliards d’euros pour les fruits (3) et 1 milliard d’euros pour les légumes (4)), il y a peut-être là une réelle raison de s’inquiéter. Soyons fiers de nos filières agricoles et soutenons-les en leur donnant les outils adéquats pour produire les quantités dont nous avons besoin, sans négliger la qualité des produits. C’est sans doute le défi à relever pour les prochaines années.

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(1) Nicolas Hulot « Il va falloir notamment à l’issue des Etats généraux et de manière plus large dans la perspective de la révision de la politique agricole commune, se doter d’une stratégie pour progressivement mais radicalement sortir de ces substances qui créent une relation de défiance dont n’ont pas besoin les acteurs du monde agricole »https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/paris-se-desolidarise-de-lue-en-prevoyant-la-fin-du-glyphosate-en-2020/  – 28 novembre 2017

« Ce qui est essentiel, c’est assortir tout ça d’un plan pour reprogrammer, pas seulement la sortie du glyphosate… En réalité, maintenant, chacun a intégré qu’il va falloir qu’on commence très sérieusement à programmer la sortie de la plupart des pesticides » https://www.publicsenat.fr/article/politique/glyphosate-hulot-souhaite-maintenant-programmer-la-sortie-de-la-plupart-des  – 9 novembre 2017

(2) https://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/170411

(3) Les Marchés, Fruits : le déficit commercial a explosé en 2017, 23 février 2018

(4) Les Marchés, Légumes : en 2017, le déficit commercial s’est résorbé, 2 mars 2018

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