Commerce extérieur : la France fait l’autruche

Les faits

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement français est aux prises avec les revendications des gilets jaunes. Soutenu par l’opinion publique, ce mouvement se mobilise pour une fiscalité moins lourde, plus juste et pour une hausse du pouvoir d’achat. Peut-on soutenir de telles revendications sans creuser encore la dette française ? La France, donneuse de leçons première catégorie face à ses homologues européens est prise en tenailles. Perte de compétitivité, déficit de la balance commerciale, climat social dégradé, rien n’épargne la 5e puissance économique mondiale.

Illustration avec la balance commerciale : il y a quelques années encore, la publication mensuelle des chiffres de notre commerce extérieur faisait la une du journal de 20h. De mauvais résultats annonçaient inévitablement une future dévaluation de notre monnaie (le franc) vis-à-vis de nos partenaires européens. Une dévaluation qui avait pour conséquence un appauvrissement (inflation par la hausse des produits importés) et une hypothétique relance de l’économie par les exportations. Malgré un déficit chronique de la balance commerciale depuis 2004[1], par quel miracle ce sujet a-t-il complètement disparu des écrans et radios ?

Décryptage

Ce miracle s’appelle l’euro. A l’époque, la performance de l’économie française se mesurait immédiatement sur notre monnaie. Aujourd’hui, les mécanismes de gestion de l’euro masquent la réalité de nos comptes extérieurs car on se soucie seulement de la balance commerciale globale de la zone euro (avec une part importante produite par l’Allemagne). La France importe désormais plus qu’elle n’exporte et achète de plus en plus à ses partenaires de la zone euro, notamment l’Espagne et l’Italie. Cette dernière a justement une balance commerciale excédentaire. Le déficit accumulé de nos comptes publics n’est un secret pour personne, mais ça n’a pas l’air d’alarmer grand monde.

La France a le solde le plus déficitaire de la zone euro en 2017[2]

Depuis 30 ans, la performance à l’extérieur de notre économie se dégrade. Alexandre Mirlicourtois de Xerfi Canal retrace cette longue descente engagée dès les années 2000[3].

Une note du Trésor public met également le doigt sur notre perte de compétitivité sur le marché européen pour le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire[4].
Extraits :

  • Le secteur agricole et agro-alimentaire est l’une des principales forces du commerce extérieur français. Il constitue notre troisième excédent sectoriel, à 5,5 Md€ en 2017, derrière le secteur aéronautique et spatial et la chimie/pharmacie. En 2017, l’excédent commercial du secteur agricole et agroalimentaire repose principalement sur les vins et spiritueux (+11,8 Md€), les fromages AOP (+1,2 Md€), ainsi que sur les céréales (+4,0 Md€).
  • En ligne avec les évolutions générales de son commerce international, la France connaît un recul marqué de ses parts de marché à l’export dans le secteur agricole et agro-alimentaire depuis 15 ans, en particulier à destination de l’Union européenne, alors que ses principaux concurrents européens ont mieux résisté, en particulier l’Allemagne.
  • Ce recul résulte surtout d’un déficit de compétitivité, qui expliquerait plus de 70 % de la réduction du solde, et dans une moindre mesure d’un positionnement moins favorable sur les marchés porteurs.
  • Ce manque de compétitivité est patent dans le secteur des produits transformés.

Quelques causes identifiées : le coût du travail dans l’industrie agro-alimentaire est plus élevé en France et a augmenté plus vite que chez ses principaux concurrents européens depuis les années 2000. Ajoutons que l’offre ne semble pas adaptée aux attentes du marché car il y a peu de différences de gammes.

Le vrai débat

Avec le refus des Français d’une fiscalité sans ligne directrice claire, il devient urgent pour le gouvernement de faire face à la réalité des performances économiques de la France, de plus en plus handicapée à Bruxelles dans ses discussions sur l’avenir de l’Union et de la zone euro. Comment rêver de rester une grande puissance mondiale dans de telles conditions ?

Le 11 novembre 2018, Emmanuel Macron a déclaré de manière édifiante : « L’Europe, et en son sein le couple franco-allemand, se trouvent investis de l’obligation de ne pas laisser le monde glisser dans le chaos »[5]. Incapable de réduire la dépense publique, il a prolongé le matraquage fiscal en le justifiant par une ambition affichée de lutter contre le réchauffement climatique. Ce parallélisme a conduit à une crise sociale et politique sans précédent. Autre conséquence : la France risque désormais de perdre toute crédibilité à Bruxelles.

Parlons clair

Notre déficit extérieur est lié à notre modèle d’exportation, à l’absence de logique industrielle globale et à un positionnement trop moyenne gamme. Souvent, dans l’industrie, nous cherchons à vendre la qualité espagnole au prix allemand… ça ne marche pas !

Ce double handicap (déficit extérieur et déficit budgétaire) ne peut pas être compensé par de grands discours. La grogne sociale ne se calmera pas non plus à coup de saupoudrage et de mesures-pansements. Il est temps de sortir la tête du sable !

[1] Résultats pour 2017 consultables sur le site :  https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/02/08/commerce-exterieur-de-la-france-resultats-2017

[2] Source : Eurostat (extraction du 4 mai 2018).

[3] https://www.xerficanal.com/economie/emission/Alexandre-Mirlicourtois-La-debacle-sans-issue-du-commerce-exterieur_3746357.html

[4] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/56d635ac-7c74-4f75-a374-c5a76e450113/files/90d3a341-eee7-4ef8-b59b-1e3d75d001b0

[5] https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0600360629570-leurope-pourra-t-elle-survivre-a-leffacement-des-grands-pays-2231246.php

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