Pourquoi interdire le diesel n’est pas (forcément) une bonne idée.
Les faits
Lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale mardi 4 juillet, le Premier Ministre Edouard Philippe a indiqué que le nouveau gouvernement fera converger la fiscalité du diesel et de l’essence d’ici 2022. Cette mesure s’inscrit dans la droite ligne de la mandature précédente : en novembre 2015, le gouvernement avait décidé de rapprocher d’ici à cinq ans les prix au litre du gazole et de l’essence.
Les propos du Premier Ministre interviennent dans un contexte récent de « chasse au diesel » en France, pesant pour les constructeurs automobiles et risquant de pénaliser les ménages les moins aisés. Début juillet, la Mairie de Paris a notamment acté l’interdiction de circulation en semaine des voitures diesel de plus de seize ans dans la capitale, première étape d’une politique visant à chasser entièrement le diesel des rues parisiennes (avant peut être le reste des véhicules). Mais ce n’est pas tout : en présentant sa feuille de route le 6 juillet, Nicolas Hulot a annoncé la fin de la commercialisation des véhicules diesel et essence d’ici 2040. Une annonce qui n’est pas passée inaperçue dans la presse.
Selon les chiffres du Comité des constructeurs français d’automobiles, sur le premier semestre de 2017 les voitures diesel ont représenté 47,92 % des ventes neuves, contre 47,37 % pour les modèles essence[1]. En 2012, la part du diesel correspondait à environ 72% des ventes. L’évolution des ventes mettra cependant du temps à se traduire dans la composition du parc roulant. Au 1er janvier 2017, 19,94 millions de voitures diesel étaient toujours immatriculées dans l’Hexagone, soit 61,6% du parc. Le recul du gazole réveille un débat classique sur la pollution engendrée par le diesel par comparaison avec l’essence. Mais ce débat est-il encore pertinent ? Pas si sûr…
Décryptage
Depuis le « dieselgate » qui a touché Volkswagen en 2015, les autorités mondiales cherchent à renforcer leurs contrôles et à limiter davantage les émissions polluantes des voitures diesel. La France, qui a encouragé pendant des années le développement de cette technologie par des avantages fiscaux, suit le mouvement. La TVA est actuellement déductible par les entreprises sur leurs achats de gazole à hauteur de 80 % pour les voitures particulières et à 100 % pour les véhicules utilitaires. La loi de finances de 2017 a introduit cette même déductibilité de la TVA sur l’essence utilisée par les véhicules d’entreprise : elle sera accordée progressivement en cinq ans.
Les véhicules équipés d’un moteur diesel sont souvent considérés comme trop polluants, notamment en raison des particules fines qu’ils émettent. Ces particules microscopiques, également produites par le chauffage domestique et l’industrie, peuvent provoquer des affections respiratoires et une surmortalité chez les personnes souffrant de maladies respiratoires et cardiovasculaires.
Mais, compte-tenu des évolutions technologiques ces 10 dernières années, la pollution des véhicules diesel a été divisée par 10. L’arrivée des moteurs diesel nouvelle génération, normés Euro 5 et 6, a réglé les principaux problèmes de pollution liés aux anciennes générations. Maintenant équipés de filtre à particules bloquant 99,9% des particules fines et de systèmes bloquant 90% des émissions d’oxyde d’azote, les véhicules diesel se révèlent en réalité moins polluants que les véhicules essence. Les derniers moteurs essence à injection directe, qui se généralisent, émettent en moyenne davantage de particules que les moteurs diesel. Les véhicules diesel possèdent de surcroît un meilleur rendement énergétique, car ils consomment 20 à 25% de carburant en moins qu’un véhicule essence. Les moteurs à gazole auraient ainsi un impact positif sur la lutte contre le réchauffement climatique.
Le vrai débat
D’un point de vue environnemental, attaquer le gazole est contre-productif. Le moteur à essence, qui traditionnellement ne rejetait pas de particules, en émet désormais ; tandis que le moteur diesel émet 15% de CO2 en moins. Pour respecter la norme européenne qui prévoit une émission maximum à 95g CO2/km en 2020, il est nécessaire de s’attacher au respect des contrôles sur les émissions polluantes et de proposer des véhicules alternatifs à faibles émissions, indépendamment du carburant choisi. Cela suppose de faire preuve de neutralité technologique pour considérer les émissions émises (dioxyde de carbone, particules fines, oxydes d’azote) par l’ensemble des véhicules actuellement en circulation et en cours de construction, quelle que soit leur motorisation.
Si l’on souhaite améliorer la qualité de l’air en agglomération de manière opérationnelle, il est plus pertinent de renouveler progressivement le parc de véhicules français, en supprimant les véhicules les plus polluants en circulation, que d’augmenter les taxes sur le diesel. Le fait de vouloir faire converger la fiscalité appliquée au diesel et à l’essence obéit à une volonté politique, celle de préparer l’industrie automobile à un changement de paradigme. Or, la faible réversibilité de la production ne permet pas de bouleversement brutal, au risque de faire imploser une industrie déjà fragilisée par des normes antipollution complexes à intégrer. Pour les constructeurs, la chute du diesel pose deux problèmes principaux : celui du respect des limites aux émissions de CO2, et celui de l’adaptation de l’appareil industriel. PSA fait actuellement venir des moteurs essence de Chine pour fournir ses usines françaises…
Parlons clair
Une chute brutale du gazole aurait nécessairement des conséquences industrielles, économiques et sociales, en particulier sur l’emploi en France. En effet, 2 millions de salariés français vivent directement ou indirectement de l’industrie automobile. Les mesures prises par l’ancien et l’actuel gouvernement ne font qu’aggraver la suspicion qui pèse sur le diesel, et prennent une tournure punitive, y compris pour les consommateurs. Pour rapprocher les prix du diesel et de l’essence, il existe des alternatives à la hausse pure et simple des taxes sur le diesel. On aurait tout aussi bien pu baisser les taxes de l’essence, pour en faire un bonus destiné à encourager les conducteurs à choisir ce carburant. Encore faudrait-il compenser le manque à gagner pour le gouvernement français…
Une chose est claire : parler de diesel ou d’essence n’a pas de sens, puisqu’au delà du type de motorisation, les technologies diffèrent considérablement selon les années de production. Les véhicules les plus récents sont souvent les moins polluants. Et les annonces de Nicolas Hulot reconnaissent aussi, implicitement, cette réalité. Le Ministre de la transition écologique et solidaire souhaite en effet interdire les véhicules non-électriques ou non-hybrides, c’est à dire les voitures 100% diesel… et 100% essence, sans distinction.
[1] « En France, le diesel poursuit son déclin dans les ventes », Les Echos, mardi 4 juillet 2017