La grande distribution veut le beurre, l’argent du beurre et la crémière !

Les faits

Depuis plusieurs semaines, les journalistes s’intéressent au risque de pénurie de beurre dans certains rayons de supermarché. La question posée est récurrente : qui est le coupable ? Bien avant les vacances d’été, des boulangers et des pâtissiers s’étaient inquiétés de l’envolée des prix du beurre : + 172 % en 20 mois et de sa répercussion sur le prix du croissant.

La sur-médiatisation d’un risque de pénurie a déclenché de nombreux achats préventifs ou de précaution. L’effet « boule de neige » a provoqué des ruptures d’approvisionnement. Dans la semaine du 16 au 22 octobre, 30 % des supermarchés étaient en rupture de stock. Conséquence : la consommation de margarine, elle, était en hausse de 15 % sur la même semaine[1].

Décryptage

A travers le « beurre gate », les Français constatent l’interconnexion mondiale de notre système alimentaire. Les Américains découvrent les vertus du beurre, et immédiatement la demande mondiale part à la hausse. La Nouvelle Zélande marque une pause dans sa production laitière et immédiatement le prix du beurre grimpe. Derrière ces faits, s’opère un changement plus fondamental de l’alimentation, au niveau mondial. Dans de nombreux pays, la cuisine au beurre, les viennoiseries – notre culture gastronomique- sont de plus en plus appréciées. L’alimentation se mondialise et s’enrichit de la diversité des différentes cultures gastronomiques.

Nos parents savaient localiser le pays de la pizza mais n’en consommaient pas. Aujourd’hui la pizza ou encore les sushis se sont installés dans notre quotidien alimentaire. Faut-il s’en plaindre ? Non, sauf bien entendu, sauf les absolutistes et grincheux du local. Les mêmes qui militent pour le remplacement du café par la chicorée !

Le vrai débat

L’analyse de cette crise constitue un excellent cas concret de la perversité des relations entre le monde agricole, celui de l’agro-alimentaire et de la distribution. Dès la remontée des cours, les industriels ont demandé des augmentations de prix. Bien évidemment, la grande distribution a refusé. Au final, le consommateur n’a vu qu’une hausse de 10 % du prix du beurre.

[1] Source Agra Presse du 6 novembre 2017. Etude cabinet Nielsen

Cette crise montre que la grande distribution, au lieu de chercher une solution, a pratiqué la politique de l’autruche. A partir du printemps, les industriels du beurre sous marque distributeur (premiers prix) ont renoncé à produire pour les grandes enseignes, ces dernières ont refusé d’augmenter les prix. Il faut savoir que les contrats pour les marques distributeurs sont valables 3 mois. Conséquence : en septembre plus assez de beurre pour alimenter les rayons. En Allemagne, le prix du beurre a tout simplement augmenté, ce qui a permis au beurre depuis mars 2017, de ne pas disparaître des rayons.

Des distributeurs ont décidé de sortir de ce petit jeu et commencent à concéder des révisions de prix. Apparemment, Leclerc se fait « tirer l’oreille… »

Parlons clair

Les Français (re)découvrent que le lait, comme d’autres produits alimentaires, sont transformés ou déconstruits en différents produits alimentaires ou ingrédients. Lorsqu’un producteur vend son lait à un industriel, le produit peut être transformé en beurre, en fromage mais aussi en poudre. Les industriels et les coopératives, acteurs de la déconstruction du lait appliquent les prix du marché. La France est le premier consommateur de beurre en Europe et importe ¼ de sa consommation. Pour ce produit très disputé en termes de marge, les industriels ont délaissé la production et se sont plutôt tournés vers le secteur du fromage, avec pour corollaire une montée en gamme.

Dominique Chargé, président des coopératives laitières dans LE FIGARO du 25 octobre 2017[1]. «Aujourd’hui, un industriel transformateur en France a clairement plus intérêt à faire du fromage avec les matières grasses du lait ou à se tourner vers d’autres circuits que la distribution pour vendre son beurre, car il ne peut pas répercuter les hausses de tarif du marché mondial auprès des distributeurs»

Dans son imaginaire, le consommateur pense producteur, vache, pré et motte de beurre. Dans la réalité, le producteur vend son lait à des industriels qui transforment le produit en beurre et en poudre de lait. Le prix payé au producteur est un « mix » entre les prix de ce deux produits. Or, ce qui pénalise la filière, c’est le prix d’achat de la poudre qui « tire les prix » vers le bas. Ce prix très faible s’explique notamment à cause des stocks très importants depuis la crise laitière. Ils avaient été constitués en 2015/16 pour éviter un effondrement du prix du lait à la production.

[1] http://www.lefigaro.fr/conso/2017/10/24/20010-20171024ARTFIG00285-la-crise-du-beurre-illustre-les-dysfonctionnements-de-la-grande-distribution.php

La pénurie de beurre est due à deux facteurs :.

  • Le beurre français, victime de son succès, est de plus en plus exporté (Chine, Etats-Unis), donc l’offre française qui couvre les ¾ de la consommation est encore plus réduite.
  • L’industrie laitière française a délaissé le beurre et les distributeurs ont de mauvaises habitudes. «Les distributeurs sont habitués à des situations d’abondance pour faire pression sur les prix», explique Dominique Chargé.


Si la grande distribution continue à ne pas vouloir mettre des augmentations de prix en place, d’autres fournisseurs seront capables de produire moins cher, peu importe les conditions sociales et environnementales de production. Les vraies conséquences ?… Diminution du « Made in France », perte de potentiel de production, pertes d’industries et donc pertes d’emplois… !

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