La vérité économique ne se décide pas par référendum

L’édifice craque de partout. La France, trop rigide, trop centralisée, enserrée dans sa tradition jacobine cherche un nouveau souffle démocratique. Le mouvement social en cours est inédit. Il échappe aux règles générales des conflits sociaux. Une génération spontanée de contestataires est née sous un gilet jaune, hors de toutes formes d’organisation. Les syndicats l’ont vu émerger dans le pays sans pouvoir ni réagir ni le contrôler. Au départ, la revendication porte sur la fiscalité des carburants. En France, la liberté de circuler est capitale pour au moins 35 millions de citoyens. Ils vivent en dehors des métropoles, ils sont l’objet d’une discrimination spatiale : la voiture est une de leurs libertés fondamentales. Peu à peu, le centre de gravité du mouvement se déplace. La gouvernance du pays, la justice fiscale, les petits revenus, la représentation politique, bref tout ce qui fait l’espace public devient l’objet d’une revendication globale à changer de modèle. Comme si l’ancien était épuisé !

Le président Macron s’est exprimé à plusieurs reprises au cours de ce long conflit émaillé de violences inacceptables. Il a plus récemment pris la parole devant des élus locaux réunis en Normandie et dans le Lot. Brillant, expert des grands dossiers, il a cependant mangé son pain blanc. Le plus dur est à venir. Avec des maires et des élus locaux, la concorde est accessible. On peut en effet répondre à leurs doléances en modifiant les méthodes de gouvernance. Mais M. Macron devra rapidement affronter le mouvement social. Le grand débat va faire remonter à la surface des revendications sociales, économiques et fiscales dont certaines seront plus proches de la chimère que des grandes politiques publiques. Le danger vient de là. Il devra y répondre. Pour dire les choses différemment, il ne pourra s’exonérer d’un contact direct avec cette France manifestante certes minoritaire, voire marginale, mais très bruyante.

La question posée par le grand débat est d’ores et déjà celle de la réalisation des désirs économiques et sociaux des Gilets jaunes. Mission impossible pour le président et son gouvernement. L’économie n’est peut-être pas une science exacte, elle est une science raisonnable. Elle s’adosse à des paradigmes épistémologiques réalistes. Le réel est le réel. On ne peut y échapper. Ainsi, baisser les impôts et augmenter les dépenses publiques n’est pas réaliste. Les Italiens voulaient s’y essayer mais ils y ont renoncé. Beaucoup de nos concitoyens ont construit une représentation du réel économique fondée sur leur seule expérience. On comprend que chacun juge à l’aune de sa propre vie, mais cela fait-il une politique ? À moins de penser que l’État est en effet cette vaste fiction dans laquelle chacun pense pouvoir s’enrichir aux dépens de tous les autres. La période actuelle voudrait tuer le réalisme scientifique. Elle pourrait le payer cher comme à chaque fois que des idées simples sont appliquées à des sociétés de plus en plus complexes. Dans ces conditions, certains vœux remontés lors du grand débat ne pourront être satisfaits. La colère pourrait ainsi se transformer en frustration. Il faut oser dire qu’il n’existe pas d’expertise populaire dans les domaines complexes, oser dire qu’on peut avoir des idées mais que ces idées ne font pas une science. Les politiques économiques ne se font pas à main levée dans une assemblée. Elles se heurtent aux limites de leur financement. Or, la réalité est que dans une vie humaine, nous créons aujourd’hui moins de richesses que nous en consommons. Il faut arrêter la machine infernale sauf à vouloir transmettre une dette colossale à nos enfants. Le grand débat porte ainsi l’espoir d’une démocratie plus participative mais il comprend aussi les germes d’une nouvelle révolte : la révolte contre le réel. La révolte contre les dérèglements d’un système que nous avons tous largement utilisé !

 

 

 

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