Le complexe de l’argent, une obsession française

Punir les riches. Au mieux les accabler. La littérature et la pensée françaises sont riches de ces formules accusatoires : « La propriété, c’est le vol », proclame Proudhon. Et Balzac ajoute : « Derrière toute fortune se cache un crime ». Le philosophe Pascal Bruckner a racheté la valeur de l’argent dans La sagesse de l’argent. Un formidable voyage dans le temps qui rappelle que l’argent est nécessaire. Pourquoi haïr ceux qui en ont ? Balzac, toujours lui, critique acerbe de la petite bourgeoisie provinciale, savait écrire un roman en un mois pour rembourser ses dettes. Nous avons tous un rapport ambivalent à l’argent, à défaut, le bon sens ne prétendrait pas que « l’argent ne fait pas le bonheur » ou que « plaie d’argent n’est pas mortelle ».

Pour bien comprendre le rapport des Français à l’argent, il faut en effet se replonger dans notre Histoire, dont nous sommes le produit selon Marx. Reprenons également la lecture de Gramsci pour ne pas oublier que la culture, ce creuset qui forme nos opinions, nos réflexes, notre représentation du monde et des rapports sociaux, détermine notre rapport à l’ordre social. Le substrat culturel français est à mon sens l’objet d’une double influence : il est marqué par la pensée de l’église catholique (les derniers seront les premiers) qui défend à juste titre la veuve et l’orphelin mais leur voue aussi une certaine admiration. Les pauvres sont admirables. La fortune est méprisable. Le second grand courant d’idée qui irradie la société française est celui des luttes sociales. Elles se confondent avec la recherche effrénée de l’égalité. La France préfère l’égalité à la liberté. C’est la leçon de la Révolution.

Dans cette société à la recherche d’un idéal égalitaire, où l’argent est suspect, le danger est rapidement celui de l’égalitarisme. Nous y sommes aujourd’hui confrontés. La formule de Balzac revient en écho. On cherche le crime derrière la fortune. L’obsession des Gilets jaunes pour le retour de l’ISF traduit tout à la fois une méconnaissance totale de la fiscalité et ce vieil esprit français de jalousie économique. Pour instruire à charge et à décharge, demandons-nous qui payait massivement l’ISF ? Essentiellement des Français victimes de l’envolée des prix de l’immobilier dans les zones tendues et les spots touristiques. Des riches ? Non, des foyers victimes de l’inflation immobilière pour la plupart. L’exode des riches, chassés par une fiscalité exorbitante du droit commun européen, a commencé à la fin des années 90 avec le départ des ultra-riches. Sur les 300 grandes fortunes logées en Suisse, 50 sont françaises pour des avoirs estimés à 95 milliards d’euros. Cette base nous échappe donc totalement à ce jour. C’est une perte nette pour l’économie et pour les caisses du Trésor. Puis, comme disent les fiscalistes, le flux s’est démocratisé. Les moins riches sont partis eux aussi. Sur 15 ans, les chiffres les plus précis évoquent entre 10 et 12 000 sorties par an.

Bref, pour résumer, l’ISF est totalement hors sujet. La fiscalité du patrimoine, celle des revenus financiers seraient un autre enjeu. C’est là que se cache l’économie de la rente et non derrière cet impôt mal né et mal nommé. Mais le mouvement social est passé à côté, préférant enkyster les débats autour d’un chiffon rouge ! N’en déplaise aux Gilets jaunes, l’investissement dans les entreprises a beaucoup alimenté la croissance depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Nul ne peut dire qu’il existe une relation de cause à effet entre la transformation de l’ISF et le regain de croissance, mais nul ne peut prétendre le contraire. Or, dans toutes les démarches scientifiques, on attend d’avoir compris avant de séparer le vrai du faux…

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