Stop à l’instrumentalisation de la détresse des apiculteurs

Les faits
« 30 % des colonies d’abeilles sont mortes pendant l’hiver en France » (AFP, 25 octobre 2018), « Abeilles : « une mortalité sans précédent » en Dordogne » (Sud Ouest, 1er novembre 2018), « À Erdeven, le fort taux de mortalité des abeilles inquiète » (Ouest France, 24 octobre 2018), etc. Les titres des articles qui annoncent une forte mortalité des abeilles sont légions. Pointant du doigt la responsabilité des pesticides, ces articles font tous état d’une situation catastrophique de la filière apicole et de la détresse qui envahit les apiculteurs.

 

Décryptage
Depuis la fin des années 90 et la polémique autour du Gaucho et du Régent, les apiculteurs accusent régulièrement les agriculteurs d’empoisonner leurs abeilles avec leurs pesticides. La communauté scientifique préfère de son côté parler de « causes multifactorielles » pour expliquer l’origine des mortalités d’abeilles. Car le problème est particulièrement complexe. On compte 3 grands groupes de facteurs : la pollution, la biodiversité et les maladies.

Virus, parasites, champignons, pathologies : la gestion sanitaire d’un rucher est aujourd’hui un défi très difficile à relever pour les apiculteurs. Depuis les années 80, ils doivent faire face au varroa, un parasite qui affaiblit les abeilles. Porteur de nombreux virus, le varroa provoque aussi un stress important dans la ruche ce qui perturbe le développement de la colonie. Les moyens de traitements sont hélas insuffisants. Les sociétés spécialisées dans le développement de solutions vétérinaires ont des difficultés à investir compte tenu de la faiblesse du retour sur investissement. Le marché apicole est en effet limité. D’autant que les apiculteurs apprécient souvent avoir recours à des remèdes de grand-mères qui ne sont pas toujours efficaces, loin s’en faut.

La biodiversité est un autre facteur essentiel pour la survie des colonies. Car qui dit perte de biodiversité dit diminution de l’offre florale dans l’environnement. Cela conduit à une alimentation insuffisante des abeilles ou à base de pollen de mauvaise qualité. Les productions agricoles jouent un rôle important pour alimenter les abeilles avec du pollen et leur permettre de produire du miel avec du nectar. On pense évidemment à la lavande mais aussi au tournesol et au colza. Malheureusement pour les apiculteurs, ces cultures voient leurs surfaces diminuer année après année.

Enfin, la pollution est le dernier facteur pour expliquer les mortalités. On y retrouve notamment les pesticides mais aussi les acaricides, c’est-à-dire les produits utilisés par les apiculteurs eux-mêmes pour traiter les colonies contre les maladies et parasites. La pollution atmosphérique rentre également dans ce facteur.

 

Le vrai débat
A ce jour, il n’existe pas de consensus scientifiques pour hiérarchiser les très nombreuses causes.  Pourtant, ce sont quasiment toujours les pesticides qui sont cités par les apiculteurs. « Faut-il réduire l’utilisation des pesticides ? » et « Les pesticides sont-ils responsables de la mortalité des colonies d’abeilles ? » sont deux questions différentes. Il faut veiller à ne pas mélanger les sujets.

On peut s’interroger sur l’usage des pesticides. Les agriculteurs ont aujourd’hui tendance à en utiliser de moins en moins, et surtout, uniquement lorsque c’est nécessaire. C’est la base de l’agriculture de précision qui s’appuie sur les nouvelles technologies pour observer et savoir quand et à quelle dose utiliser des pesticides pour protéger les cultures et assurer les rendements nécessaires à l’équilibre économique des exploitations.

Hélas, certains utilisent, pour ne pas dire manipulent, les mortalités d’abeilles et leur complexité pour réduire les difficultés apicoles à la seule utilisation des pesticides pour en obtenir l’interdiction. Bien que la réduction des pesticides soit un souci partagé par tous, faire ce raccourci simpliste est clairement malhonnête.

 

Parlons clair
Il faut se garder d’instrumentaliser la détresse des apiculteurs à des fins militantes ou dans le seul but d’interdire tous les pesticides. Car ceux qui caricaturent le sujet sont en réalité responsables de la détresse des apiculteurs. En se focalisant sur les pesticides, ils entretiennent l’idée (fausse) qu’il n’y a pas d’autres solutions et réponses à apporter aux apiculteurs que l’interdiction des pesticides. Or, les apiculteurs ont besoin par exemple de solutions vétérinaires pour lutter contre le varroa ou la loque. Ils doivent également pouvoir compter sur les productions agricoles mellifères pour nourrir leurs abeilles, assurer le développement des colonies et produire du miel en quantité. Ils ont besoin d’un accompagnement technique, de formation continue pour les aider à gérer leur cheptel et leurs exploitations.

En apiculture et en agriculture, comme dans tous les domaines, il faut se méfier des idées reçues et des caricatures. Surtout quand la qualité de l’environnement et de notre avenir en dépend.

loading
×