Mauvais procès de l’agriculture française : il est temps de retirer ses œillères !

Les faits

Le Salon International de l’Agriculture est toujours un bon cru avec ses quelque 634 000 visiteurs soit 1% de la population française. Cette édition a été marquée par la volonté du monde agricole d’expliquer et de valoriser ses métiers ; bref, de faire œuvre de pédagogie contre un « agri-bashing » coriace. On voit en effet souvent fleurir les mêmes a priori sur l’agriculture française, notamment sur son « industrialisation » et son « intensification ». Un discours idéologique tenace repris dans l’opinion publique. Il s’agit pourtant d’une lecture myope de la situation française agricole actuelle, qui mériterait une remise en contexte et une mise en perspective par rapport à nos voisins européens.

Décryptage

À lire ce que nos concitoyens pensent ou écrivent de leur agriculture, on se dit que le cliché du Français qui n’aime rien tant qu’à dénigrer sa bonne fortune n’est pas… un cliché. Notre compatriote a une vision franco-française de l’agriculture nationale qui le rend (volontairement ?) aveugle à ce qui ne se passe pas si loin des frontières de l’Hexagone. Avec le risque de tenir un discours dogmatique construit sur des images erronées.
On nous dépeint souvent l’agriculture française comme « déshumanisée », soumise à la tyrannie du chiffre, à la froideur du machinisme, oublieuse de l’homme et de l’animal. Bref, une agriculture « industrielle » vs une agriculture champêtre et idyllique. La soi-disant disparition des haies dans le paysage français est un exemple de ces griefs. Un observateur impartial aura remarqué que depuis une trentaine d’années, l’arasement des haies et les remembrements ont disparu. La tendance est plutôt à la replantation de ces haies (environ 1500 km de haies replantés chaque année), pour des raisons paysagères ou pratiques (régulation d’eau, effet coupe-vent). Un observateur de bonne foi se souviendra aussi que la destruction la plus importante de haies a lieu lors de travaux effectués dans les zones péri-urbaines… l’agriculture n’est donc pas la seule en cause. Rappelons enfin que des paysages agricoles ouverts (open fields) sans haies, il en existe depuis quelques siècles : il suffit d’aller se promener dans la Beauce pour le constater de visu.
Avant de parler d’une agriculture française intensive, il ne serait pas inutile d’aller faire un petit détour chez nos voisins européens. L’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark ou l’Espagne offrent de précieux points de comparaison à qui veut bien les prendre en compte. Le Danemark, par exemple, pratique un élevage porcin tellement intensif que les éleveurs bretons, souvent accusés de faire de l’élevage intensif, n’auraient pourtant vraiment pas à rougir. Ce pays scandinave, grand comme 1,6 fois la Bretagne, produit autant de porcs que la France entière et sa production a crû de 20% ces dix dernières années. On se demande bien comment, étant donné sa taille, ce pays parvient à respecter les normes en ce qui concerne les effluents d’élevage.
De manière générale, la production française a légèrement diminué (3%) entre 2000 et 2015, alors qu’elle augmentait dans l’UE (+9%), en particulier en Allemagne (+31%) et en Espagne (+33%) [1]. Le nombre d’élevages porcins a par exemple diminué de moitié entre 2000 et 2015 : 16 800 [2] contre environ 9 000 [3] pour un cheptel de près d’1 million de truies. Seuls 3% des élevages français comptent plus de 500 truies, quand c’est le cas pour 31% d’élevages en Allemagne, 54% aux Pays-Bas et plus de 60% en Espagne ou au Danemark. On observe le même phénomène pour la production laitière et avicole (œufs, volaille de chair). Certes, l’agriculture française s’est intensifiée, mais ces quelques chiffres ramènent la question à ses justes proportions.

Pays Valeur Prod Mio € (2018) Surface agricole ha (2013) Valeur Prod. € par ha
Europe des 28 435 418,57 174 358 310 2 497,26 €
Hollande 28 727,19 1 847 570 15 548,63 €
Allemagne 53 260,65 16 699 580 3 189,34 €
France 75 973,56 27 739 430 2 738,83 €
Italie 56 740,54 12 098 890 4 689,73 €

Source : Eurostat – Enquête structure 2013[4]

On note que le niveau de production par ha de la France est dans la moyenne de l’Union européenne.

Il est aussi reproché à l’agriculture française d’être intensive du fait de ses prétendues monocultures. Or, la France n’est pas une terre de monoculture. Elle recourt bien plutôt aux rotations. En 2012, la rotation colza/blé tendre/orge représentait à elle seule 9% de la sole cultivée française; les rotations de deux ans (du type blé dur/tournesol, maïs/blé tendre ou encore colza/blé tendre) couvraient 15% de la sole cultivée. Seule exception à ces rotations : la monoculture de maïs, qui ne constitue en rien une aberration agronomique, et qui représente 6% de la sole cultivée [5]. Peut-être faudrait-il rappeler à certains prompts à la critique que ce n’est pas parce qu’un champ est tout vert qu’il est forcément planté uniquement de blé : cela pourrait être le vert du blé tendre, mais aussi de l’orge, du blé dur, du triticale… Monochromie et monoculture ne vont pas de pair, n’en déplaise aux esprits chagrins.

Rappelons enfin qu’en 40 ans, les surfaces céréalières (et notamment de blé et de maïs) n’ont pas beaucoup évolué, ce qui contredit l’idée selon laquelle l’agriculture française aurait cédé aux sirènes de l’intensification. Ce que l’on observe en revanche, c’est que la diversification a fait son apparition, avec une extension des cultures de colza ou de tournesol. Une diversification à saluer, mais qui soulève néanmoins des problèmes d’ordre écologique et de débouchés commerciaux.

Le vrai débat

Face à l’implantation de cultures de colza et de tournesol, les prairies voient leur surface se réduire comme peau de chagrin, ce qui a forcément une incidence sur la production ovine et bovine. Moins de prairie, c’est moins de pâture disponible pour les troupeaux. L’impératif de diversification se fait donc au détriment de certaines filières agricoles, et parfois hors de toute logique de marché. Il est par exemple recommandé de diversifier les cultures en plantant des oléoprotéagineux ou d’autres cultures comme le sorgho. Bonne idée sans doute, mais peut-être serait-elle encore meilleure s’il y avait un marché pour exporter ensuite ces productions. La lentille verte du Puy a fait parler d’elle il y a quelque temps, quand il avait été révélé qu’elle était au menu de l’école du Prince George de Cambridge. Cocorico pour la lentille française ! Mais c’était la légumineuse qui cachait la forêt : en cinq ans, la France est devenue excédentaire dans la production de lentilles. L’interprofession s’inquiétait à juste titre en février 2019 : «Malgré l’engouement des consommateurs français pour ces protéines végétales avec une consommation qui a augmenté de 12 % en 2017, les ventes ne permettront pas d’absorber les volumes prévus sur notre marché national [6]. » Elle n’est pas non plus suffisamment compétitive à l’export. Résultat : la lentille canadienne remporte la mise. Certes, les productions de protéagineux et de soja constituent des perspectives intéressantes. Mais il faut prendre en compte la réalité des marchés et de la compétitivité française.

Si l’on ne considère l’agriculture française qu’à travers le verre déformant d’une loupe, on ne voit qu’un problème. Si on l’examine avec du recul, en l’incluant dans le paysage agricole européen, on constate un paradoxe : l’agriculture française s’est certes intensifiée, mais pas autant que ses voisines… et pas assez non plus pour faire face à cette concurrence. À vouloir être trop « verte », l’agriculture française ne risque-t-elle pas de perdre ses couleurs face à ses concurrentes européennes ? Toute à ses idées d’un « bio » le plus naturel possible, décidée à aller même au-delà des normes européennes, la France en oublie que son agriculture se retrouve défavorisée face à des pays où les réglementations économique et environnementale sont plus souples. Ainsi, alors que l’on reproche à l’agriculture bretonne « intensive » sa responsabilité dans la prolifération des algues vertes – oubliant qu’en 20 ans le taux de nitrates dans les masses d’eau bretonnes a nettement diminué [7] –, en Hollande on déroge allègrement à la réglementation européenne sur la qualité des eaux. Selon Éric Andrieu, député européen : « la perte de la dérogation à la directive Nitrates obligerait les Pays-Bas à diminuer d’un tiers ses vaches laitières [8] ». Un dernier exemple : les associations écologistes ciblent souvent les importations de tourteaux de soja ; les tourteaux constituent la part en protéines de l’alimentation des porcs et des volailles, et leur importation a un impact non-négligeable dans la déforestation d’une partie de l’Amérique du Sud. Ce que ces associations omettent de préciser, c’est qu’elles communiquent sur le chiffre européen de l’importation… La France est en effet le pays qui importe le moins de tourteaux de soja, avec des volumes stables depuis 20 ans.

Bref, en ce qui concerne le respect du cahier des charges bio européen, notre pays n’a pas à rougir ; mais qu’y gagne-t-il, en comparaison de ses voisins, là est la question.

Parlons clair

Le mythe contemporain d’une agriculture française industrielle et intensive repose sur un problème de perception : soit on en fait une lecture myope, l’œil collé au mauvais bout de la lorgnette, soit on plaque sur la situation agricole française les réalités d’autres pays, avec pour résultat une vision globalisée et sans fondements. Peut-être faudrait-il recontextualiser, relativiser, et s’en remettre à la sagesse proverbiale française, qui dit qu’« Avant que de juger, il faut avoir tout vu »…

[1] Ifip – Institut du porc, 2016.

[2] Agreste Primeur – Les élevages de porcs en France métropolitaine en 2010.

[3] Ifip – Institut du porc, 2016.

[4] http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Gaf15p022-023.pdf

[5] Fuzeau V. et al, 2012, « Diversification des cultures dans l’agriculture française – état des lieux et dispositifs d’accompagnement », Études et documents, numéro 67, Commissariat général au développement durable.

http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/E_D_67_diversification_des_cultures_16_07_2012.pdf

[6] http://www.lafranceagricole.fr/actualites/cultures/lentilles-le-marche-excedentaire-inquiete-linterprofession-1,6,1763968483.html

[7] https://www.ouest-france.fr/bretagne/bretagne-la-qualite-de-l-eau-en-nette-progression-4719736

[8] https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/fraude-massive-des-milliers-de-vaches-fantomes-aux-pays-bas-5551095

 

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