Retraite : une réforme en trompe-l’œil

Le marathon de l’année

Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire aux retraites, rendra son rapport final au Premier ministre, Édouard Philippe (ou un autre) avant le 14 juillet prochain. Arrivons-nous au bout du feuilleton ? Pas sûr, d’autant que le projet de réforme du Haut-commissaire, issu des milliers d’heures de rencontres avec les partenaires sociaux, sera transformé en projet de loi et transmis au Conseil d’État pour avis. L’examen du texte arrivera devant les assemblées à l’automne et sera finalement voté l’année prochaine. À ce stade, nous savons que le projet portera sur la création d’un régime de retraite universel, mais universel ne veut pas dire unique. Le texte de départ portera vraisemblablement sur les grands principes. La politique étant notamment l’art de l’exécution, il convient de rester très prudent sur le résultat final.

Réforme systémique ?

La réforme promise doit présenter un caractère systémique. On change le modèle et non plus les paramètres du modèle. La promesse faite est celle de l’égalité jamais atteinte dans le système actuel. « Égalité et équité », disent les conseillers qui entourent M. Delevoye et les voix élyséennes. Mais comment faire, comment réviser l’histoire, comment revenir sur les avantages acquis par les titulaires d’au moins 42 régimes spéciaux ? Un exemple simple montre la complexité de la tâche. Pour le régime des policiers, le gouvernement voudrait distinguer ceux qui sont assignés à des fonctions administratives et ceux qui sont astreints au régime d’active, c’est-à-dire exposés à des risques élevés et, selon les termes de la loi, à « des fatigues exceptionnelles » ? « Beaucoup de nos collègues passent d’une fonction à une autre, tout au long de leur carrière mais aussi au quotidien dans l’exercice de leur fonction », nous déclare Stanislas Gaudon, du syndicat Alliance Police Nationale. L’ambition de départ était trop élevée par rapport aux situations ante.

Le débat est accaparé par les promesses de la réforme, parfois tournée en dérision par les organisations syndicales les plus radicales qui voient le butin social accumulé au XXe siècle menacé de disparition. Il est pourtant un autre danger, autrement plus sérieux, qui menace les futurs retraités. Futurs car ce qui aura été acquis d’ici à 2025, date prévue d’entrée en vigueur du nouveau modèle, sera garanti.

3 zones d’ombre lourdes de conséquences

A) La réforme prévoit que toutes les cotisations sous la barre de 3 plafonds de la Sécurité sociale tomberont dans une caisse unique (ou si vous préférez dans un régime unifié). La barre des revenus est placée très haute. Les Français qui atteignent ces trois plafonds constituent une part marginale de la population active. Le dispositif ainsi envisagé serait en réalité celui d’une nationalisation du système des retraites. Il condamnerait par avance toute chance de créer un système additionnel par capitalisation, sauf pour les très très riches ! Assez peu social en vérité…

B) Un texte « chapeau » devrait fixer les grands principes et un organisme unique devrait naître de la réforme. Pour gérer la diversité des situations et notamment celle des 650 000 salariés classés en catégorie active, l’équipe du Haut-commissaire n’exclut pas la création d’établissements délégués de gestion, affectés à telle ou telle activité. Disons les choses simplement : les régimes spéciaux réapparaîtraient sous une autre forme, habilement travestis, avec les habits neufs du XXIe siècle.

C) Le sort des réserves des régimes spéciaux suscite de sérieuses inquiétudes chez les gestionnaires des régimes qui disposent d’un fonds de roulement robuste : médecins, pharmaciens, professions libérales, experts-comptables, AGIRC-ARRCO. On estime à 140 milliards d’euros les réserves des régimes « bien gérés » des professions citées ci-dessus. Lors d’une rencontre avec M. Delevoye, il y a quelques mois, le gestionnaire d’un de ces régimes avait déclaré au Haut-commissaire : « Si une main devait s’approcher de nos réserves, nous les ferions disparaître aussitôt » ! CQFD.

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