Incendie de Notre-Dame : la défiscalisation des dons met le feu aux poudres

Les faits

Les cendres de la charpente de Notre-Dame voletaient encore sur les quais de Seine que déjà l’on soufflait sur les braises, jamais éteintes, des polémiques en tous genres. L’origine du sinistre, le montant des dons recueillis, le projet de loi envisagé pour la restauration de l’édifice, sont autant de controverses qui attisent les passions. L’une de ces polémiques se révèle particulièrement inflammable, puisqu’elle touche à l’argent du contribuable : la défiscalisation des dons collectés pour la reconstruction de la cathédrale. Dans le cadre d’un projet de loi de souscription nationale pour la restauration et la conservation de Notre-Dame de Paris, le gouvernement annonce une réduction d’impôt exceptionnelle : la réduction pour ces dons passe de 66 % à 75 %. Aussitôt des voix s’élèvent pour dénoncer une telle défiscalisation, censée coûter cher à l’État. L’union sacrée a fait long feu.

Décryptage

Qu’est-ce que la défiscalisation des dons ? Dès lors qu’un individu fait un don ou verse une cotisation à une association ou à un organisme d’intérêt général, il bénéficie d’une réduction d’impôt sur le revenu. Cette réduction dépend de la somme versée et du destinataire du don. Dans le cas d’un don fait en faveur d’un organisme d’intérêt général ou reconnu d’utilité publique, la réduction de l’impôt sur le revenu égale à 66 % du montant des dons dans la limite de 20 % du revenu imposable. Depuis la loi Aillagon de 2003, les entreprises quant à elles peuvent déduire de leur impôt sur les sociétés 60 % de leurs dépenses de mécénat. Plafonné à 0,5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, ce mécanisme se révèle avantageux pour les grands groupes.

Le 24 avril 2019, le gouvernement annonce que la réduction d’impôt sur les dons faits pour Notre-Dame passe de 66 % à 75 %. En quelque 48 heures, près d’un milliard d’euros sont collectés pour la reconstruction de la cathédrale. C’est en majeure partie le fait de grands groupes français comme LVMH, L’Oréal ou des multinationales du CAC 40, qui ont fait des promesses de dons très élevées. Les voix dissonantes ne se font pas attendre : on dénonce une générosité surtout motivée par l’avantage fiscal consenti aux mécènes par la loi Aillagon. La polémique est lancée, sous prétexte que la défiscalisation des dons coûte cher : puisque l’État rembourse une partie des dons via les réductions d’impôts, les centaines de millions d’euros versés pour Notre-Dame auront donc des conséquences sur les finances publiques. Autrement dit, c’est la collectivité publique – le contribuable – qui va prendre l’essentiel des frais de reconstruction en charge.

Le vrai débat

Polémique inutile : sans les sommes versées par les donateurs privés – et notamment ces grandes fortunes, l’État serait seul à supporter le coût de la reconstruction. S’il n’y avait pas de dons, il devrait piocher dans ses réserves, augmenter les impôts ou baisser d’autres dépenses pour faire face au coût. En effet, depuis la loi sur la séparation des Églises et de l’État, ce dernier est propriétaire des édifices religieux bâtis avant 1905. En d’autres termes, l’appel à la générosité des Français et le remboursement de leurs dons revient moins cher que si l’État devait injecter la totalité de la somme requise dans les travaux de reconstruction.

Dire que ces dons coûtent de l’argent à l’État est inexact, pour la raison qu’il ne s’agit pas de fonds remboursés par l’administration fiscale aux donateurs, donc de sorties de capitaux, mais plutôt d’un manque à gagner. En 2017, ce manque à gagner pour la partie concernant les entreprises a été estimé par la Cour des comptes à 902 millions d’euros : une somme similaire « au budget consacré par l’État au patrimoine[1] ».

On peut néanmoins se demander s’il était bien nécessaire de renforcer un arsenal déjà généreux. Dans ses conditions actuelles, le mécénat d’entreprise pèche déjà par son coût jugé excessif pour les finances publiques. Dans un rapport publié à l’automne, la Cour des comptes a d’ailleurs appelé à mieux l’encadrer. D’après les magistrats financiers, son coût a été multiplié par dix en 15 ans, pour atteindre près de 900 millions d’euros par an. Autre inconvénient, le peu de contrôle exercé par l’État sur ce dispositif. Une réglementation plus prononcée viendrait donc à point nommé : cela ne signifie pas pour autant qu’il faille attiser des controverses à tout va, et ainsi ajouter à la destruction de Notre-Dame l’effondrement de l’unité nationale suscitée par le désastre.

Parlons clair

Face à la polémique, la famille Pinault a réagi peu de jours après, en déclarant renoncer à la réduction fiscale sur son don de 100 millions d’euros. Il n’est pas prévu non plus que le don du groupe LVMH soit défiscalisé. Certes, un fond bien français de scepticisme peut nous interdire de voir un acte parfaitement désintéressé dans ces promesses de dons vertigineuses. Mais ne peut-on pas plutôt se réjouir de l’afflux des dons ? Certaines pierres apportées à l’édifice seront dans les faits bien plus grosses que les autres ; mais c’est au prix de chacune d’elles que sera reconstruite Notre-Dame.

[1] Cour des comptes, « Le soutien public au mécénat des entreprises » – novembre 2018 https://www.ccomptes.fr/system/files/2018-11/20181128-rapport-soutien-public-mecenat-entreprises.pdf

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