Retraites, et si on avait raté l’essentiel ?

1. Mercredi 12 juin, face aux députés pour son discours de politique générale, le Premier ministre Édouard Philippe a introduit une nouvelle donne dans le débat autour des retraites. On connaissait l’âge légal de départ, l’âge pivot, voici maintenant l’âge d’équilibre. La formule a le mérite de la précision. L’équilibre évoqué est celui de la soutenabilité financière du système actuel et futur des retraites. Les différentes mesures sociales prises depuis 6 mois vont compromettre le retour à l’équilibre. Il manquera cette année un peu plus de 3 milliards pour équilibrer les comptes de la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse). À plus long terme, dans une perspective strictement financière, l’équilibre général des comptes ne pourra pas être atteint avant 2050, voire 2070 selon les hypothèses de croissance. Dans un système par points, la solidarité intergénérationnelle, la croissance et la démographie continuent de jouer un rôle. Le système par points permet d’ajuster le niveau de son revenu de remplacement en travaillant par exemple plus longtemps. On se demande d’ailleurs comment, dans ces conditions, la retraite restera un outil de redistribution. On peut à ce stade imaginer un système de bonification du point pour certaines catégories de population comme les catégories dites actives (policiers, gendarmes, militaires, pompiers, aides-soignants, gardiens de prison etc.). C’est vraisemblablement la solution qui devrait être retenue.

2. La grande nouveauté de la réforme tient dans la formule utilisée par le Président Macron. « 1 € cotisé doit donner accès aux mêmes droits ». Autrement dit, dans le nouveau système, la pension sera calculée sur l’ensemble de la carrière. Les 6 derniers mois des fonctionnaires et les 25 meilleures années du privé disparaissent au profit d’un système universel. C’est en effet un acte de justice. Rappelons ici deux points d’histoire utiles :

a) À sa création en 1945, le système actuel de retraite incorpore les salariés du secteur privé. La retraite existe déjà pour les fonctionnaires depuis la loi sur les pensions civiles à l’initiative de Napoléon III (1848), votée quelques années plus tard le 8 juin 1853. Les salariés du privé vont cotiser et entrer dans le système à la Libération mais avec un taux de remplacement de 30% de leur salaire. C’est très faible et plutôt misérable. C’est la raison pour laquelle des caisses complémentaires comme AGIRC ARRCO seront créées quelques années plus tard.

b) Le régime de retraite généralisé ressemble à une pyramide de Ponzi. Les actifs cotisent pour les retraités et ainsi de suite. Assez rapidement, sous le coup de l’évolution démographique et des crises de croissance, dans la foulée des Trente Glorieuses, les déficits vont se creuser et ce sont toujours les salariés du privé qui feront l’effort de rétablissement des comptes, essentiellement grâce à une augmentation de leurs cotisations.

3. Prenons acte que la réforme doit rééquilibrer la contribution de chacun. L’assiette de cotisation (6 derniers mois contre 25 meilleures années) est mise en avant pour expliquer que le nouveau système sera plus équitable. Soit ! Mais l’essentiel n’est pas là. Cet argument n’épuise pas les questions posées dont celle de la contribution respective des employeurs du privé et du secteur public. Le taux de cotisation de l’État employeur est de l’ordre de 75% quand, dans le privé, pour le régime de la CNAV, il oscille autour de 10%. Pour rentrer dans le mécano des retraites des fonctionnaires, rappelons ici qu’il n’existe pas de caisse de retraite des fonctionnaires en tant que telle mais un engagement de l’État employeur d’honorer les pensions de ses agents. Une subvention d’équilibre de plus de 40 milliards d’euros est versée chaque année par l’État pour abonder le déficit du régime de ses agents et c’est le produit de l’impôt qui finance cette subvention. Entendons l’argument qui consiste à dire que ce coup de pouce est une compensation des salaires modestes versés par l’employeur. L’État bonifie le revenu de remplacement en échange d’un salaire d’activité souvent modeste, surtout pour les catégories C. Il n’empêche. Le gouvernement autant que le Haut-commissaire sont silencieux sur le point. Qu’adviendra-t-il de la « cotisation » de l’État constituée des impôts des Français ? Devra-t-on demander aux agents des fonctions publiques d’augmenter leur propre cotisation (autour de 10%) ou les régimes spéciaux survivront-ils sous une forme différente ? Loin d’être claire sur ce point, la réforme des retraites proposée ne règle pas cette épineuse question. L’équité voudrait que toutes les parties cotisent à une hauteur comparable : les salariés, quel que soit leur secteur, comme les employeurs, qu’il s’agisse d’employeurs privés ou de collectivités publiques.

 

 

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