Aménagement des territoires : mettre la France sous cloche ?

Les faits

Depuis quelques semaines, une nouvelle « ZAD » se développe en France et plus précisément à Strasbourg. On y retrouve les mêmes ingrédients qu’à Notre-Dame-des-Landes. Le projet de Grand Contournement Ouest (GCO) de Strasbourg a été validé. Les travaux commencent alors que le chantier est entravé par les actions de ses opposants. Comme dans d’autres conflits, la grève de la faim est l’une des armes utilisées, en complément de la multiplication des recours juridiques. Pour le moment, à quelques rares exceptions près, le dossier ne fait pas la une de la presse française. Alors, pour passer à la vitesse supérieure, la mise en scène est particulièrement soignée en vue de faire le buzz dans les médias et sur les réseaux sociaux. Après 22 jours de grève de la faim, six militants contre le grand contournement ouest (GCO) n’ont pas hésité à se déshabiller pour montrer leur maigreur en plain de cœur de Strasbourg.

Photo DNA Geneviève Lecointre – 12 novembre 2018

Décryptage

L’autoroute Nord/Sud passe actuellement dans Strasbourg. Elle est devenue une voie urbaine mais c’est une barrière aux développements des flux entre les quartiers.

Farouchement opposés à ce projet de contournement de 14 km, les opposants sont convaincus qu’il ne faudrait plus toucher au moindre mètre carré de territoire foncier agricole ou forestier. Une position radicale : au nom des grands équilibres « naturels », de la protection des zones humides, de la lutte contre le réchauffement climatique, il faudrait stopper toute artificialisation des terres.

Ces derniers mois, suivant l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, de nombreux projets ont été mis de côté ou sont sur la sellette :

  • Le projet du lac artificiel de Caussade (Lot-et-Garonne) pour soutenir l’étiage et permettre le développement de l’irrigation sur une vingtaine d’exploitations. Autorisé par le préfet du département, il a été abandonné 8 jours après sur ordre des ministres de l’Ecologie et de l’Agriculture. Dans ce contexte, quelle crédibilité pour les représentants de l’Etat ?
  • Le projet d’autoroute A45 entre Saint-Etienne et Lyon : Les élus de la Loire ont eu beau protester, il est clair que les élus de Lyon les ont abandonnés en pleine campagne. Un exemple des tensions qui pourraient rapidement se développer entre les grandes métropoles et les agglomérations urbaines à proximité.
  • Les projets de réserves d’eau au sud de l’ex-région Poitou-Charentes risquent fort de ne pas aboutir. Les agriculteurs ont pourtant monté une organisation originale en coopératives, avec un engagement de réduction des prélèvements estivaux dans les cours d’eau. Les réserves sont prévues pour être construites en dehors des zones humides. Mais le raisonnement simpliste « irrigation = agriculture intensive = pollution » fonctionne à merveille…

 

Derrière toutes ces oppositions subsiste une même logique : mettre la France rurale sous cloche. Certaines motivations relèvent simplement du NIMBY (Not In My BackYard = pas dans mon jardin) mais d’autres révèlent une vision différente de la société : la décroissance qui impose un gel complet des aménagements territoriaux.

 Le vrai débat

Le thème de l’artificialisation des terres agricoles s’est clairement imposé comme un enjeu politique majeur. 60 000 ha par an sont concernés. A partir de ce chiffre, la communication s’emballe : on entend ici ou là que l’équivalent d’un département disparait tous les 5 ans. Voilà qui fait froid dans le dos. Mais La réalité des chiffres est néanmoins un peu plus complexe[1].

  • Les terres agricoles correspondent à un hectare sur deux, soit 50% de notre territoire. Chaque année, c’est 50 000 ha qui sont urbanisés et 30 000 ha deviennent des espaces « naturels ».
  • Les espaces naturels (sols boisés, landes, friches, maquis, garrigues et autres occupations naturelles) représentent environ 40 % du territoire et progressent d’environ 30 000 ha par an sur une longue période.
  • Les sols artificialisés représentent aujourd’hui 9 % de notre territoire.

Sans oublier, comme l’indique ce schéma du ministère de l’Agriculture, que l’occupation des terres est fluctuante et répond à une logique d’échange permanent entre les espaces naturels, les terres agricoles et les zones artificialisées.

En 30 ans, les terres agricoles ont diminué d’environ 7%. Sur cette même période notre population a augmenté de 10 millions d’habitants. Il faut donc plus d’espace pour se loger, se déplacer, pour produire des aliments et biens de consommation. Certains s’étonnent que la surface occupée par l’habitat ait augmenté environ 5 fois plus vite que la population. Pouvons-nous comparer le logement des années 60 et celui d’aujourd’hui ? Le modèle de la maison individuelle très consommatrice d’espace peut être remis en cause, mais on ne peut pas passer sous silence les raisons de cette tendance plébiscitée par les français : logement plus grand et moins cher, dans un environnement calme et donc de plus en plus éloigné des centres-villes.

En 2050 la France comptera plus de 70 millions d’habitants[2], l’aménagement de notre territoire n’est donc pas fini. Il ne s’agit pas pour autant de justifier les nombreuses emprises foncières parfois aberrantes, comme par exemple des zones industrielles et commerciales vides avec des hectares de parking ou bien de gigantesques ronds-points, etc.

Parlons clair

Notre foncier agricole et nos espaces naturels sont une richesse. Ce sont des espaces de production avec des externalités positives pour un secteur important de notre économie : le tourisme !

Notre droit aujourd’hui conduit inexorablement à des blocages par des recours qui s’appuient sur un maquis juridique et des mécanismes de décision incompréhensibles. Que la décision portant sur une réserve d’eau de 14 ha relève d’une instance parisienne est un indicateur de notre centralisme démocratique.

A force de renoncements comme celui de Notre-Dame-des-Landes, nous risquons de suspendre beaucoup d’autres projets, dont la bretelle de Strasbourg. Même la construction de logements sociaux n’échappe pas à cette volonté de restriction mue par la peur de la densification de l’habitat.[3] Il faudra vraisemblablement reconsidérer la construction et la structuration des villes, mais les projections démographiques sont claires : nous avons besoin d’espaces supplémentaires.

Bloquer pour des raisons idéologiques des aménagements nécessaires à la vie quotidienne d’usagers et d’entreprises ne peut conduire qu’à l’inertie et à renforcer les tensions entre nos concitoyens. Le nécessaire débat sur l’artificialisation des sols ne doit pas être instrumentalisé.

[1] Schéma et données : Ministère de l’Agriculture – Agreste Primeur N° 326, Juillet 2015

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/1280826

[3]http://www.leparisien.fr/yvelines-78/triel-sur-seine-ils-veulent-ralentir-l-urbanisation-de-leur-ville-18-11-2018-7945728.php

 

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