Small n’est pas toujours beautiful : la permaculture, une nouvelle croyance…

Les faits

À l’heure où les débats se concentrent sur la politique de la ville, le monde rural fait état d’un sentiment d’abandon, renforcé d’autant plus par les difficultés que rencontre actuellement l’agriculture française.

Dans l’article « La fierté est dans le pré », publié le 24 mai dans Valeurs actuelles, la journaliste Charlotte d’Ornellas souligne à juste titre ce phénomène. Mais elle semble brosser un portrait pour le moins partiel du monde agricole français, en choisissant deux exemples d’exploitations agricoles au modèle économique bien distinct, dont la ferme biologique du Bec Hellouin (Normandie, Eure) qui pratique la permaculture. Cette ferme ferait actuellement vivre 10 personnes qui y travaillent et consomment ses produits. Un modèle familial, très local, qui prône le retour à des pratiques agricoles anciennes, « à la main », par opposition à l’agriculture moderne, « industrielle », subissant de plein fouet les dures lois du capitalisme.

On pourrait presque croire à cette vision bucolique et désuète, à l’idée qu’un autre monde et qu’une autre agriculture sont possibles, et pourtant…

Décryptage

Le reportage invite à opposer ces deux exemples à l‘agriculture dite industrielle de manière quasi manichéenne. L’expression « agriculture industrielle » est un mot valise, qui a émergé à mesure que les exploitations se sont mécanisées. Connotée négativement, elle entretient la confusion entre les exploitations qui par leur taille, leur spécialisation, leur mode de gestion ou l’origine de leurs capitaux, seraient comparables à des entreprises industrielles, et l’agriculture telle qu’on la pratique en grande majorité en France, qui entretient des rapports étroits avec l’amont et l’aval industriel, mais reste – sauf exception – d’essence familiale. En réalité, les producteurs font simplement partie d’une chaîne de production classique : en amont, ils achètent les intrants, semences, machines dont ils ont besoin (ce sont les facteurs de production), et en aval, leurs produits sont transformés pour être destinés à la consommation.

Dans le premier exemple du reportage de Valeurs actuelles, la dimension d’entreprise est d’ailleurs évidente. Le réseau créé par des agriculteurs de Poitou-Charentes est constitué de 4 magasins avec des surfaces de vente comparables à celle d’une supérette alimentaire (environ 400 m2).[1]

La ferme du Bec Hellouin se targue quant à elle de produire les mêmes quantités sur 1000 m2 de terrain que sur un hectare en agriculture conventionnelle. Une approche qui n’a pas beaucoup de sens en production maraîchère. Sous des serres, la production de tomates est par exemple 5 fois supérieure voire plus à la production en plein champs. En toile de fond, c’est l’éloge du petit, du simple…

La communication savamment étudiée de la ferme du Bec Hellouin omet pourtant des informations essentielles pour qui voudrait se lancer à son tour dans la permaculture. La ferme est en effet aussi un centre de formation -Archipel, nom de la structure juridique-, dont les stagiaires travaillent sur l’exploitation. Elle profite donc d’une main d’œuvre bon marché voire gratuite. Dans le milieu de la permaculture, certaines analyses expliquent les limites de ce système.

 « Après avoir fait mes 2 stages de CCP au Bec Hellouin suivi d’un BPREA, je suis assez d’accord avec l’analyse de Catherine Stevens. On se rend compte en étant sur place que beaucoup de choses ne sont pas dites dans la comm’ réalisée par le Bec Hellouin et que du coup le modèle n’est pas du tout reproductible. Sans de gros moyens financiers de départ, de la main d’œuvre gratuite, et certains arrangements avec les lois (permis, loi sur l’eau, etc.), le projet n’est pas viable. »[2]

Une analyse rapide démontre que ce modèle économique repose pour l’essentiel sur la rentabilité du centre de formation et donc son remplissage, et accessoirement sur la production de la ferme.

Le vrai débat

Consommer en circuit court des produits issus de la vente directe est certes très louable, et certainement possible pour quelques-uns qui savent saisir des opportunités. Mais ce modèle est-il viable pour toutes les exploitations agricoles françaises ?

Depuis quelques années fleurissent des lieux de vente où les producteurs se regroupent pour vendre directement au consommateur. La démarche entrepreneuriale est positive, mais tous les producteurs ne peuvent pas s’y rattacher. Dans le secteur des fruits et légumes, la part de marché de la grande distribution alimentaire est de l’ordre de 66%[3]. Une part importante de la production agricole française est par ailleurs destinée à l’exportation. Par exemple : 40 % de la production laitière, 30 % de la production de pommes et aussi de pommes de terre[4]….De quoi nuancer la vision idyllique du circuit court, souvent présenté comme unique réponse aux difficultés du secteur agricole.

Les agriculteurs sont avant tout des entrepreneurs à titre individuel ou collectif. Une grande partie du discours de l’agribashing consiste à considérer l’agriculteur, non pas comme un entrepreneur libre et responsable, mais bien au contraire à l’enfermer dans une image issue du passé. Ce que nous pouvons reprocher aux agriculteurs et surtout aux responsables agricoles qui s’expriment dans les médias c’est de ne pas poser clairement les enjeux d’entreprise, non pas au niveau global mais au niveau de chaque ferme. Une remise en question serait salutaire pour certaines exploitations, tandis que d’autres auraient bien besoin d’un coup de pouce pour accélérer leurs transformations. Les états généraux de l’alimentation ne sont-ils pas passés à côté de l’élément essentiel : l’entreprise agricole avec ses projets, son positionnement dans la filière… ?

Parlons clair

La permaculture suscite un réel engouement – parfois sans discernement – à tel point qu’elle en devient une croyance. Rien n’empêche d’encourager les modèles de production dits « alternatifs », de les tester et les analyser pour en tirer des leçons constructives et améliorer les pratiques agricoles.[5] Cependant, il faut veiller à la crédibilité des démarches menées et se méfier des trouvailles exceptionnelles comparables au moteur à combustion qui fonctionne avec de l’eau. En économie, comme en physique et certainement en agronomie, il n’y malheureusement jamais de miracle…

[1] Une démarche exemplaire à découvrir http://www.plaisirs-fermiers.fr/

[2] https://jardincomestible.fr/docs/analyse-critique-de-letude-du-bec-hellouin/

[3] Source Kantar issue de l’article https://www.lsa-conso.fr/les-fruits-et-legumes-nouvelle-arme-de-differenciation-des-distributeurs,213312

[4] Données issues de : http://www.franceagrimer.fr/content/download/55721/538802/file/20180301-Pr%C3%A9sentation%20SIA%20-%20international-7(1).pdf

[5] L’étude récente sur un réseau micro fermes spécialisées dans le maraîchage qui invitent à produire autrement est un exemple parlant : http://veille-permaculturelle.fr/sols-vivants/marechage-sur-sols-vivants-etude-technico-agro-economique/

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